Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Sécotine and so on
Archives
10 septembre 2008

Talents, toujours


Découvrez Igor Stravinsky!

Ils sont là devant moi, parlant presque en même temps entre deux bouchées de gratin. Assis en face de moi, je les écoute et les regarde. Ils parlent d'harmonique, de rythmique, du 2ème mouvement et de micros. Ils sont crevés, et pourtant la discussion est enlevée, passionnante, passionnée.

Ils sont là devant moi, tous les deux. Ils sont bourrés de talent.
Oh, à les voir comme ça, ça ne saute pas forcément aux yeux. Leurs cheveux en bataille, leurs barbes de 3 ou 8 jours, savamment entretenue dans un mélange de négligence et de dandysme non avoué. Leurs grosses baskets de skateurs et leurs jeans tout abîmés. En arrivant, ils sentent la clope, les nuits trop longues ou trop courtes et les bouteilles d'alcool vides.

Ils sentent la fatigue et la satisfaction propre à la jeunesse, la satisfaction du travail joliment accompli, la passion partagée et l'apothéose juste vécue et pas encore digérée. 

L'un est musicien, l'autre ingénieur du son. L'un est sur scène, devant le public, maniant son instrument dans des interprétations qui m'échappent de Berlioz, Mozart, Britten et d'autres. L'autre est derrière, discret, loin des projecteurs et concentré sur une masse d'électronique, maniant console, boutons qui clignotent et langage qui, là encore, m'échappe totalement.

Ils sont là ce soir devant moi, à se resservir en gratin comme des adolescents affamés, et il y a 48 heures, ils étaient au coeur d'un beau festival de musique classique, ils étaient au coeur de leur passion pour interpréter, chacun à sa manière, le Sacre, leur totem et leur leitmotiv sur ces quelques jours hors du temps.

Ah, le Sacre. Ils se l'injectent dans les veines, à force de l'écouter, le répéter, le jouer encore et encore. Le mixer, le remanier, repositionner les micros et insister sur telle mesure.
Le Sacre, ils l'ont accouché sur scène, devant cette audience sage de quinquagénaires à lunettes, le cheveu blanchissant et la culture musicale haute, comme une petite élite qui sait se reconnaitre.

Le Sacre, ils l'ont interprété de toute leur force, de toute leur fougue et de toute leur jeunesse, comme un pied de nez insolent à ce public presque assoupi dans sa vie, confit d'expérience et précautionneux de la taille des rosiers , dans le jardin.

Le Sacre, ils l'ont brandi comme un trophée, jeunesse triomphante pleine de foutre et d'hormones. De tout leur talent.

Parce que du talent, ils en ont à revendre, ces jeunes qui ne paient pas de mine, ces jeunes loin des flashs et du bling bling, ces jeunes ivres comme Rimbaud de leur jeunesse et bohêmes qui, loin du monde bruyant, travaillent Stravinsky pour en donner le meilleur sur cette scène toute bleue.

Le sacre encore, lorsque le concert terminé, l'ambiance du groupe est électrisée dans un espèce d'orgasme musical collectif.

Surexcités, galvanisés, le concert est terminé et leurs rires, trop forts, explosent au milieu des élus, notables de la ville qui se congratulent poliment à qui mieux mieux sur la réussite sans cesse renouvelée de ce festival. Deux mondes se cotoient, au buffet, se croisent et s'entrecroisent.
Parfois les parents, fiers de leur progéniture qui a tout donné avec brio sur scène, posent une main sur l'épaule du jeune artiste, violoncelliste, percussionniste, dont le visage, somme toute banal, ne laisse préjuger d'autant de talent.

Mais ce soir, 48 heures après l'événement, le sacre du jeune groupe qui a interprété le Sacre, ils sont là, tous les deux devant moi, presque ordinaires dans leurs gestes du quotidien, abordables et adorables comme peuvent l'être les petits frères.
Ce soir c'est moi qui les bichonne et les gate, comme une grande soeur que je suis.

Mais il y a 48 heures, chacun à sa manière m'a donné une leçon de talent époustouflante.
Ce soir, j'espère que mon gratin l'est tout autant. Epoustouflant.

Publicité
Commentaires
L
super billet que j'ai lu l'autre jour sans commenter...pas possible une mirgue arapede pendue mon bras.<br /> <br /> Alors ce gratin???
C
Si ton gratin a été à la mesure de tes mots ,nul doute que tes artistes se soient régalés!!<br /> je t' embrasse
E
Comment peux-tu me laisser avec ce suspens insoutenable !!!! T'es dure avec moi ! Biz
A
Quel beau billet ! J'y lis toute ton admiration et toute ton émotion face à leurs talents respectifs ! Comme j'aurais aimé manger une toute petite part de gratin à vos côtés, à les regarder et à les écouter moi aussi, 2 jours après leur triomphe !...
E
Tu vois toi aussi tu es talentueuse ! Je me régale à chaque lecture de tes articles ! Merci de nous faire partager tout ça ! Biz
Sécotine and so on
Publicité
Publicité