Un pays comme un autre
Ce matin, Bernard Guetta dressait sur France Inter le bilan de l’année géopolitique. Loin d’insister sur les catastrophes qui nous menacent chaque jour, il peignait un tableau en demi-teintes d’un monde dans lequel l’espoir est permis. Certes, il y a Obama, adulé du monde entier, certes il y a Medvedev, qui a l’air de vouloir changer la Russie à petits pas.
Tiens, la Russie. Il en parlait comme d’un pays en voie de normalisation, et je mettais ses mots en parallèle avec mes souvenirs. Aujourd’hui, à en croire Bernard Guetta, la classe moyenne émerge et prend les rênes de l’économie, cette classe moyenne n’a pas ou peu connu le communisme, elle n’est donc pas enchainée à ce passé glorieux et douloureux. Oui cette Russie a mon age ou presque, elle vie sans doute dans des pavillons, ceux que je voyais en construction il y a 12 ans. Les panneaux devant les chantiers proclamaient fièrement « cottages ». Terminées, les « Khrouchtchoby », les cages à lapin soviétiques construites à la va vite dans tout le pays sous Khrouchtchev.
Oui cette Russie là a internet, communique avec le monde, et si les babouchkas ont sans doute encore leurs fichus aux couleurs vives sur la tête, peut être sont elles moins nombreuses à vendre du khleb (pain) à la sortie des bouches de métro. Peut être tout simplement cette génération là trépasse doucement et en silence.
Peut être qu’à Moscou, les bâtiments sont moins lépreux qu’en 1996 et la Mafia moins voyante… Je me souviens encore de faire un écart sur le trottoir pour éviter cette énorme Mercedes 600 stationnée en bas d’un immeuble. Les hommes, tous de sortie avec le holster à peine caché sous leur veste, guettaient d’un air tendu les environs. Le règlement de compte avait sans doute lieu à l’intérieur, dans un appartement encore très soviétique, de bric et de broc. A cette époque, j’avais le sentiment de rentrer malencontreusement sur une scène de tournage de film noir.
Les Russes aujourd’hui j’en croise tous les jours ici. Ils ne ressemblent plus aux Russes d’il y a 10 ans, maladroits dans leur style vestimentaire, attifés de manière grotesque et tellement avides de tout ce que l’ouest apportait.
Au magasin Leipzig de mon quartier, les banques frigorifiées présentaient si peu de produits russes et tellement de confitures allemandes. Peut être que l’appareil de production s’est aujourd’hui un peu normalisé. Si l’on tait les sous marins nucléaires qui pourrissent tout doucement dans l’eau des ports septentrionaux, peut être que la Russie a vaincu ses démons de « T.S.S », Tout Sauf du Soviétique.
Peut être que les rescapés de la guerre en Tchétchénie sont mieux traités, et n’errent plus comme des âmes damnées dans les couloirs du métro moscovite, à la recherche d’une bouteille de vodka pour oublier leurs peines.
Oui, il semble que la Russie a changé. Je ne l’ai pas vue, j’aimerai la voir. Savoir si elle est entre les mains de jeunes adultes à la mémoire vierge, comme ce petit garçon qui jouait du violon dans les couloirs du métro. Il arborait des bleus au visage, un air farouche et un regard plein de colère et de crainte. Les sons imparfaits de son violon arrachaient des larmes aux passants, qui lui donnaient modestement quelques Kopecks pris dans un porte monnaie déjà bien plat.
Ce petit garçon, Cosette slave, s’il est toujours là, vit il désormais dans un pays comme les autres ?
J’aimerai bien.