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Sécotine and so on
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12 juin 2009

Moscou, 3 fois

J'ai 7 ans.
Les touristes Japonais me prennent en photo sur la place Rouge. J'ai beau être bien blonde, mon K-way bien rouge n'a rien de très soviétique. Savent ils leur méprise ?
On est à l'aéroport, et je ne comprends pas bien pourquoi les gens prononcent le nom de ce pays "Lûrs" alors que c'est un sigle et qu'on le prononce "Lû-èr-èss-èss".
On est à Moscou, et en sortant du restaurant de notre hôtel, un monsieur me glisse dans la main un chocolat très local. Sans doute parce que des petites touristes comme moi, on en voit peu à cette époque. Je garderai longtemps, comme un petit trésor de guerre, ce chocolat fait d'ersatz et de poussières, emballé dans on papier un peu grossier.
On est sur la place Rouge. Il y a un magasin Benetton à l'entrée du Goum.
Et puis il y a Anya, la fille de notre guide. Anya a mon age. On ne parle pas la même langue, mais on joue ensemble. Elle est encore plus menue que moi. Plus tard, on lui enverra des  cadeaux, avec dans nos paquets bien garnis une pointe de condescendance "parce que tu comprends, ils n'ont vraiment pas grand chose, là bas".

J'ai 15 ans.
J'ai oublié, aujourd'hui, le nom de la ville qui nous a hébergé - mais c'est normal, c'était une ville secrète qui ne figurait pas sur les cartes.
C'est décembre, et il fait -20 le jour. Nos bagages de lycéens sont pleins à craquer de vêtements chauds que nous empilerons savamment durant le séjour dès que nous sortons, et dépilerons tout aussi savamment dès que nous rentrons dans nos chambres. Il fait si chaud, dedans.
Il est de bon ton de se faire prendre en photo devant le Mig qui orne la cour de cette Dom Otdykha, la maison de repos. Drôle de déco.
Radio Moscou égréne tristement au son d'un xylophone aigrelet (ou est-ce un Glockenspiel), les premières notes de Moskovskie Vetchera, Le temps du Muguet.
Rue Arbat - on est entre deux ères deux époques, et les braves gens bradent, sur des étals de fortune, les reliques usées des temps glorieux d'un régime politique désormais enterré. Les bustes de Lénine attendent preneurs, tout comme les uniformes de l'Armée Rouge. Ca sent le débarras, le coup de balai sur trop d'années de souffrance dont on ne veut plus. D'ailleurs, le soir, on verra en direct à la télé descendre sur le toit du Kremlin le drapeau soviétique pour le remplacer par le drapeau russe.
On est dans la salle à manger, toute soviétique, de la maison de repos, et nos fines bouches d'adolescents renâclent devant les plats de saucisse-purée que nous amènent les cantinières. Elles voient d'un mauvais oeil nos gouts de luxe tout occidentaux, alors qu'une partie du pays vit sous perfusion grâce à l'aide alimentaire américaine.
Toujours rue Arbat, nous négocions facilement avec notre maigre vocabulaire des bouteilles de vodka pour animer façon couleur locale nos soirées d'ados en mal de sensastions fortes. L'homme qui nous vend les bouteilles ouvre son manteau - ses poches intérieures en sont garnies. Ce soir là, un lavabo en faïence de notre maison de repos succombera, cassé en deux, suite à la chute d'un adolescent français imbibé de mauvaise vodka. Et je revois Alexeï, notre accompagnateur, ivre mort.

J'ai 20 ans et je regarde l'étendue de la ville devant moi depuis notre appartement du sud de Moscou. Depuis le balcon, c'est l'Université qui se détache le mieux de cette forêt d'immeubles tous semblables.
J'ai 20 ans et je peins quelques moscovites aquarelles illustrant notre séjour estival sur un cahier au papier rugueux acheté au grand magasin des enfants, le Diétskii Mir.
J'ai 20 ans à Moscou, je n'ai jamais autant eu le mal du pays. Nous  faisons nos courses au supermarché local, le Leipzig, ou sur les marchés un peu sauvage qui fleurissent à chaque sortie du métro. Les vendeurs tiennent échoppe dans des containers alignés sur des terrains vagues. On sait ou trouver le meilleur fromage (importé) ou la Brynza locale, qui ressemble à la fêta.
J'ai 20 ans et je peaufine mon russe avec la truculente Galina, volubile comme une Jackie Sardou post soviétique, et l'austère Galina, aigrie et vieille fille, maigre comme le contenu de son quotidien, et grise comme la Kommunalka qu'elle habite.
J'ai 20 ans à l'Académie des Sciences à Moscou, et Galina la grise me répète "padjèch, padjèch" pour m'encourager à soigner mes déclinaisons. Le batiment ressemble à la ligne Maginot, nos profs ne parlent pas français, pas plus que les cantinières qui, chaque jour, nous servent pour une somme modique, un délicieux repas complet. Mes meilleures kotlety, pelmeny viennent de là.
J'ai 20 ans et les soirs de sortie nous faisons du stop pour rentrer dans notre banlieue sud depuis les quelques bars branchés qui commencent à émerger à Moscou. Le Krizis Zhanra en fait partie.
J'ai 20 ans à Moscou et j'accueille avec joie mon père que j'initie au fast food local, le Russkoïe Bystro, aux puces, et nous trainons comme des touristes sur la Place Rouge parmi les Cadets de l'Armée qui vont bientot rejoindre la Tchétchénie pour se battre. La préoccupation des garçons de 20 ans ici, c'est de savoir s'ils se couperont l'index droit pour éviter d'aller au front.
J'ai 20 ans et je vois mon premier opéra, Tosca, au Bolchoï. De retour en France, deux billets pour Les Noces de Figaro m'attendent. Mais l'Opéra de Lyon me semblera bien petit, en comparaison...

Aujourd'hui, j'ai 33 ans et je n'ai pas revu Moscou, depuis... Mais les notes tristes du temps du muguet, l'odeur du bus 144 sont encore bien vivaces dans mon souvenir...

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Commentaires
L
un instant là bas avec toi... j en ai des frissons...
2
c'était un anniversaire ? qu'est ce qui te refait penser à tout ça aujourd'hui ? <br /> mon papa était un grand escrimeur. les russes et les hongrois sont aussi de grands escrimeurs. mon papa allait souvent dans les pays de l'est faire des compétitions. Il revenait de Russie avec 1 kg de caviar, échangé avec un escrimeur russe contre une tenue flambant neuve Adidas...de retour ma maman se plaignait de ne manger que du caviar et des pommes de terre une semaine entière...c'est tout ce que j'ai su de ce pays...dans les années 70.
A
Il est magnifique ce billet! J'ai envie de te demander: Pourquoi tous ces voyages??? C'est peut-être indiscret...
M
Merci pour ce bout de toi. J'aime beaucoup ton texte.
T
J'aime ton texte, tout simplement.
Sécotine and so on
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