Mer du Nord et contre courant
La France entière, la société, les gens, les familles ont depuis longtemps jeté leur dévolu sur les plages méridionales, préféré se dorer au soleil, enfiler des bikinis et se tartiner de crème solaire, écouter les grillons avec un verre de 51 en main sous les pins. En septembre, les familles arborent un bronzage insolent, comparent entre deux olives apéritives au gout déjà nostalgique les plages, les campings et les gites de Palavas ou ceux de Saint Trop.
A contrario, mon enfance a été baignée de contre courant. Alors que les files de voitures en direction du sud s'épaississaient, nous filions vers le nord, autoroute fluide, circulation limpide pour suivre les panneaux de l'A6 en direction de Paris, puis Lille. La route bifurquait ensuite vers le nord ouest, très très haut. Belgique proche, nous posions nos valises pleines de pulls et de K-way dans une petite bourgade qui a vu défiler des générations de ma famille.
Un endroit digne de la Madeleine de Marcel : les plages de la mer du nord. Celles qu'on s'acharne à vous dépeindre comme glauques, humides, tristes et froides. Celles qu'on associe à Berck sur mer, Beurk sur Mer, beuh, cracra la mer du nord.
A contre courant, donc, ce village ou l'avenue principale, toute droite jusqu'à la jetée, s'appelle L'Avenue de la Mer, de la Plage, ou toute autre appellation bien pittoresque. L'entrée du bourg est bien sur signalée par son chateau d'eau, peint en blanc sur béton, écaillé par les vents et les années. Et puis l'on progresse sur cette unique voie de circulation, avec tout au bout, la Mer du Nord. On s'approche d'elle, on lui fait face, c'est presque comme "Règlement de compte à OK Corral".
Bordant l'Avenue, les maisons d'avant guerre, d'après guerre se serrent les unes contre les autres. Il faut faire face aux éléments, ici, et leur coquetterie de bicoques permet des originalités architecturales ainsi que des petits noms si désuets.
Ici les rues transversales ne vont pas loin. Les dunes les arrêtent, chaque ruelle est un cul de sac ou poussent allègrement les oyats. Dans mes souvenirs d'enfance, l'homme en avait pris son parti, et n'avait pas lutté contre les dunes.
Au bout, la plage, l'immense plage. Le vent graisse les cheveux, pique les yeux de son sel et son sable. On peut marcher des kilomètres, à marée basse, engoncé dans un coupe vent et chaussé de bottes en caoutchouc. Le camaïeu de gris, bleu et blanc est infini. On peut se perdre et se fondre sur les plages de la mer du nord.
Ici, on fait des concours de cerf-volant, on fait du char à voile. On se mouche souvent, on a le bout des doigts gelés. Parfois, à force de courir pieds nus dans les dunes, on se plante un bout de verre, de coquillage au talon. On visite prudemment les bunkers laissés à l'abandon. On collectionne les silex, les os de seiche et les couteaux. Petits trésors rassemblés dans un seau en plastique à l'effigie déplacée de Mickey.
Que vient faire Mickey, dans cette France profonde, ou les désormais célèbres Chtis à la peau toute blanche, viennent prendre un peu de soleil dès le week-end de Paques.
Mickey est lui aussi à contre courant, dans cet endroit si particulier de la Mer du Nord...