Les 91 printemps de la Reine Mère
Elle a 91 ans. Sa voix, au téléphone, est toujours vaillante.
Sur sa photo de mariage, à 20 ans, elle est grande et droite aux côtés de l'homme qu'elle épouse, lui aussi de grande taille et de belle minceur. Ils sont tout sourires de ces jours inoubliables.
Aujourd'hui, elle est à peine plus grande que moi, sans doute parce que l'homme qui a partagé sa vie des décennies durant n'est plus.
Ses yeux bleus ont vu défiler les années, les époques, les guerres. Aujourd'hui, leur défaillance la relègue à un monde un peu intérieur, fait de souvenirs et de pensées parfois un peu noires.
J'aimais l'entendre ma raconter comme c'était avant, la maison de son enfance, les objets aujourd'hui obsolètes, j'aimais apprendre ces comptines que je n'apprenais pas à l'école. Gouter ses recettes démodées, gateau Anna et timbale picarde. Aujoud'hui, elle ne cuisine guère plus que des petites portions pour elle, assiette unique esseulée sur sa légendaire table de cuisine.
De sa bouche, j'ai appris les ancolies, les dahlias et les coeurs de marie. Monter les blancs en neige et séparer le blanc du jaune. Souvenirs aujourd'hui fanés, je n'ai pas d'ancolies, il me reste ces gestes quotidiens pour monter une mayonnaise.
Aujourd'hui, dernière rescapée d'une génération déchue, elle reste l'ultime lien avec mon passé, mes racines familiales. Elegante malgré l'age et la maladie, reine mère détronée, elle occupe toujours la place d'honneur à table et j'essaye pour lui faire plaisir de bien me tenir, de respecter ces convenances surrannées d'un ancien monde, ou l'on savait quel verre prendre, quelle fourchette utiliser, servir les aliments dans un plat du service et veiller à ce qu'aucun convive ne manque de rien.
Elle qui ignore tout d'internet ("je ne suis plus au gout du jour") et qui se prétend inutile sourirait si je lui disais qu'elle est aujourd'hui l'objet d'un post. Une grand-mère super moderne, en quelque sorte.
Bon anniversaire...
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