Des bonheurs faits de riens du tout...
La vie, notre vie moderne. On se lève tous les matins, on part travailler, dans un monde électronico-gadgetisé, branchés de partout que nous sommes, conscients de l’équilibre écologique de la planète, nous trions nos déchets, nous sommes in, nous sommes citoyens. On checke nos e-mails, on commande sur Amazon des livres éducatifs pour nos enfants, on prépare un repas au micro ondes, on chausse nos tennis design… Notre vie, comme ça, devenue transparente de modernité.
Et puis un autre monde parallèle. Dans ma campagne, là. Des commis de ferme, deux frères. Rien que le mot « commis de ferme », suranné et rétro, nous propulse dans un autre monde, une autre France, une France agricole dont l’image d’Epinal aux coins cornés est datée au dos : années 50, années 60.
Mais les commis dont je parle sont bien contemporains, ils vivent à l’heure d’internet dans un monde parallèle.
Celui là vit dans ce monde tout simple. Point de souci pour être à la mode, le bleu de travail, été comme hiver, est idéal pour faucher. Les godillots n’ont pas de saison, ils cachent les pieds un peu bots. Le tabac se roule, se fume et les volutes esquivent le chapeau de toile cirée.
Le monde est simple, les activités champêtres, faucher ici, tailler là. Pas de véhicule, pas de supermarché. Un monde parallèle à notre modernité. Un monde rare, secret, fragile car proche de la disparition…
Et un cadeau pour mon fils, aujourd’hui. Rencontre du troisième type, à l’heure des jouets plastique et électronique. De sa main calleuse, il tient un petit camion rouge Solido. Crasseux, sale, sali, usé. Le petit camion Solido avec une remorque qui porte une nacelle en métal jaune dépliable. Et sur les flancs du camion, la décalcomanie usée proclame fièrement « reportage télévisé ». Le petit camion Solido, au creux de ma main, a une date de naissance, 1974, presque mon age. Là comme ça, c’est un vrai moment de poésie, ce petit camion, transmis par notre commis aux dents usées, à un petit garçon qui sait déjà utiliser le téléphone, l’ordinateur. Un petit morceau de cadeau, un petit bout de bonheur, qui passe de cette main paysanne à ma main toute rose.
Ce camion, c’est pour mon fils. J’ai pensé tout de suite le laver, le frotter le débarrasser de cette saleté accumulée avec les ages. Les passages dans les bacs à sable, la terre de mon village.
Et puis non, il m’est apparu nécessaire, finalement, de le laisser un peu ainsi. De l’immortaliser tel quel, ce petit camion, avec tout son chargement du passé, son poids d’années.
Plus tard, on le nettoiera. Plus tard, un peu plus tard, mon fils en prendra possession, et lorsqu’il comprendra, on lui dira que c’est un cadeau de Christian, ce petit bout de poésie.