Clausewitz et légumineuses...
Dans mon village, avoir la main verte et dompter son potager pour en faire des merveilles, c'est quasiment un pré-requis pour s'installer, et s'insérer.
Il n'y a qu'à voir mes voisins, enracinés profondément dans la culture du jardin familial, et qui mènent à la baguette leurs rangs d'oignons, leur peuple de patates et font monter bien droit le vert du poireau.
Leur potager ressemble à une promo de Saint Cyr qui défile sur les Champs Elysées, le 14 juillet. Pas une mauvaise herbe ne dépasse du shako, le casoar ne tolère aucune fantaisie doryphorienne. La rectitude de ce potager est à faire pâlir d'envie bien des Etats-Majors.
Imaginez si la pression est forte, juste de l'autre côté du grillage... Disons que jusqu'à présent, j'ai toujours tenu mon rôle d'objecteur de conscience envers mon jardin : on cohabite en gardant chacun son domaine. La nature fait pousser des (mauvaises) herbes que je tonds, et elle fait grossir ces petites poires de curé, insipides mais dont je suis fière, et je les ramasse. C'est tout. Mais pour bien faire, je dois passer désormais de l'autre coté, dans le clan des meneurs, et montrer un peu plus d'autorité sur ce jardin afin qu'il me nourrisse. Les temps sont durs, le kilo de tomate trop cher, bref, j'enfile mon treillis et entame le parcours du combattant.
Cette année, je tente de gagner quelques galons en contrôlant quelques plants de tomates alignés en rangs d'oignons, dressés à la baguette sous l'oeil attentif de l'oeillet d'Inde. Protecteur et gardien anti maladies, sa laideur n'a d'égale que son efficacité. Une arme biologique, en somme.
Fantaisie de ma part, les graines de capucine, plantées ce matin à la va-vite. Efficaces pour protéger les tomates, parait il.
Erreur tactique et stratégique.
Selon mon voisin, le général en chef 5 étoiles de cette armée en devenir de carottes, poireaux, échalotes et autres tubercules, mes capucines doivent être déjà fleuries. Oups, l'état major a de quoi faire la gueule.
En stage préparatoire supérieur, je bichonne ma nouvelle recrue, un pied de dahlia gracieusement offert par le général 5 étoiles sus-cité. En observateur à mon QG. Question logistique, j'ai un oeil attentif à mes graines de pavot plantées dans un pot, nouvelle technique à expérimenter pour gagner du terrain. J'essaie aussi, tant bien que mal, de faire passer mes pieds de basilic, menthe et persil du grade de soldat 2ème classe à sous-officier. Qu'on puisse en profiter cet été.
Je sais, tout cela reste modeste. Alors oui, je mériterai bien de partir en stage commando pour planter les bulbes comme d'autres enterrent des mines anti char, apprendre à analyser la topographie du terrain comme un bon artilleur qui règle son canon, pour être sure de ne jamais tirer trop court (le tuyau d'arrosage, s'entend).
Connaitre les méthodes de représailles et riposte graduée contre les pucerons, cloque du pêcher et autres envahisseurs...
Mais je ne suis pas si virulente. Clausewitz ne saura être très fier de son petit troufion. Cependant, ce matin j'ai récolté quelques médailles, qui éclosent cette semaine sur ce superbe rosier que j'ai si bien taillé à l'automne. Rouge à la boutonnière, cette Légion d'Honneur là me donne bien du plaisir...